Le géni menteur ou les
sept miroirs de l’âme ! |
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Il y avait une fois un jeune prince qui trouvait les gens autour de lui méchants
et égoïstes. Il en parla un jour à son précepteur qui était un homme sage et
avisé et qui confia une bague au prince.
- "Cette bague est magique. Si tu la tournes trois fois sur elle-même, un génie
t’apparaîtra. Toi seul le verra. Chaque fois que tu seras insatisfait des gens,
appelle-le. Il te conseillera. Mais fais attention : ce génie ne dit la vérité
que si on ne le croit pas. Il cherchera sans cesse à te tromper."
Un jour, le prince entra dans une violente colère contre un dignitaire de la
cour qui avait agi contre ses intérêts. Il fit tourner trois fois la bague.
Aussitôt, le génie apparut:
- "Donne-moi ton avis sur les agissements de cet homme, dit le prince."
- "S’il a fait quelque chose contre toi, il est indigne de te servir. Tu dois
l’écarter ou le soumettre." À ce moment, le prince se souvint des paroles
étranges de son précepteur.
- "Je doute que tu me dises la vérité", dit le prince.
- "Tu as raison", dit le génie, "je cherchais à te tromper. Tu peux bien sûr
asservir cet homme, mais tu peux aussi profiter de ce désaccord pour apprendre à
négocier, à traiter avec lui et trouver des solutions qui vous satisfassent tous
deux."
Parcourant un jour la ville avec quelques compagnons, le prince vit une immense
foule entourer un prédicateur populaire. Il écouta un instant le prêche de cet
homme et fut profondément choqué par des paroles qui contrastaient violemment
avec ses propres convictions. Il appela le génie.
- "Que dois-je faire ?"
- "Fais-le taire ou rends-le inoffensif", dit le génie. "Cet homme défend des
idées subversives. Il est dangereux pour toi et pour tes sujets." Cela me paraît
juste, pensa le prince. Mais il mit néanmoins en doute ce que le génie avait dit.
-"Tu as raison", dit le génie, "je mentais. Tu peux neutraliser cet homme. Mais
tu peux aussi examiner ses croyances, remettre en cause tes propres certitudes
et t’enrichir de vos différences."
Pour l’anniversaire du prince, le roi fit donner un grand bal où furent conviés
rois, reines, princes et princesses. Le prince s’éprit d’une belle princesse
qu’il ne quitta plus des yeux et qu’il invita maintes fois à danser sans jamais
oser lui déclarer sa flamme. Un autre prince invita à son tour la princesse.
Notre prince sentit monter en lui une jalousie profonde. Il appela alors son
génie.
- "Que dois-je faire, selon toi ? "
- "C’est une crapule", répondit le génie. "Il veut te la prendre. Provoque-le en
duel et tue-le. " Sachant que son génie le trompait toujours, le prince ne le
crut pas.
- "Tu as raison", dit le génie, "je cherchais à te tromper. Ce n’est pas cet
homme que tu ne supportes pas, ce sont les démons de tes propres peurs qui se
sont éveillés quand tu as vu ce prince danser avec la princesse. Tu as peur
d’être délaissé, abandonné, rejeté. Tu as peur de ne pas être à la hauteur. Ce
qui se réveille en toi dans ces moments pénibles te révèle quelque chose sur
toi-même. "
À l’occasion de la réunion du grand conseil du royaume, un jeune noble téméraire
critiqua à plusieurs reprises le prince et lui reprocha sa façon de gérer
certaines affaires du royaume. Le prince resta cloué sur place face à de telles
attaques et ne sut que répondre. L’autre continua de plus belle et à nouveau le
prince se tut, la rage au cœur. Il fit venir le génie et l’interrogea.
- "Ôte-lui ses titres de noblesse et dépouille-le de ses terres", répondit le
génie. "Cet homme cherche à te rabaisser devant les conseillers royaux."
- "Tu as raison", dit le prince. Mais il se ravisa et se souvint que le génie
mentait.
- "Dis-moi la vérité" continua le prince.
- "Je vais te la dire", rétorqua le génie, "même si cela ne te plaît pas. Ce ne
sont pas les attaques de cet homme qui t’ont déplu, mais l’impuissance dans
laquelle tu t’es retrouvé et ton incapacité à te défendre."
Un jour, dans une auberge, le prince vit un homme se mettre dans une colère
terrible et briser tables et chaises. Il voulut punir cet homme. Mais il demanda
d’abord conseil au génie.
- "Punis-le", dit le génie. "Cet homme est violent et dangereux."
- "Tu me trompes encore", dit le prince.
- "C’est vrai. Cet homme a mal agi. Mais si tu ne supportes pas sa colère, c’est
avant tout parce que tu es toi-même colérique et que tu n’aimes pas te mettre
dans cet état. Cet homme est ton miroir."
Une autre fois, le prince vit un marchand qui voulait fouetter un jeune garçon
qui lui avait volé un fruit. Le prince avait vu filer le vrai voleur. Il arracha
le fouet des mains du marchand et était sur le point de le battre lorsqu’il se
ravisa.
- "Que m’arrive-t-il", dit-il au génie. "Pourquoi cette scène m’a-t-elle mis
dans cet état ?"
- "Cet homme mérite le fouet pour ce qu’il a fait", répondit le génie.
- "Me dis-tu la vérité ?"
- "Non", dit le génie. "Tu as réagi si fortement parce que l’injustice subie par
ce garçon t’a rappelé une injustice semblable subie autrefois. Cela a réveillé
en toi une vieille blessure."
Alors le prince réfléchit à tout ce que le génie lui avait dit.
- "Si j’ai bien compris", dit-il au génie, "personne ne peut m’énerver, me
blesser ou me déstabiliser.
- "Tu as bien compris", dit le génie. "Ce ne sont pas les paroles ou les actes
des autres qui te dérangent ou que tu n’aimes pas, mais les vieux démons qui se
réveillent en toi à cette occasion : tes peurs, tes souffrances, tes failles,
tes frustrations.
Si tu jettes une mèche allumée dans une jarre d’huile, celle-ci s’enflammera.
Mais si la jarre est vide ou qu’elle contient de l’eau, la mèche s’éteindra
d’elle-même.
Ton agacement face aux autres est comme un feu qui s’allume en toi et qui peut
te brûler, te consumer, te détruire. Mais il peut aussi t’illuminer, te forger,
te façonner et faire de l’autre un allié sur le chemin de ta transformation.
Toute rencontre difficile devient alors une confrontation avec toi-même, une
épreuve, une initiation."
- "J’ai besoin de savoir encore une chose", dit le prince. "Qui es-tu ?"
- "Je suis, moi aussi, ton reflet dans le miroir."
Charles Brulhart Janvier 2004.
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